PEPS Edito, 17 avril 2023 (https://confpeps.org)
« Article 34. – Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
Article 35. – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (Constitution de 1793)
Le Conseil Constitutionnel, en entérinant la contre-réforme des Retraites, a acté le passage en force de Macron et a rendu la Constitution de la Vème République définitivement illégitime. En promulguant la loi à 3 heures du matin le soir même, le forcené de l’Élysée, égal à lui-même, a montré qu’il ne lâcherait rien, fidèle à son égo, à son mépris de classe, à son arrogance et à sa mission : défendre les intérêts du capital et des marchés financiers. Pourtant le mouvement ne va pas s’arrêter. Il va continuer, porté par une dynamique qui dépasse la seule question des retraites.
Nous vivons en effet le temps d’une coagulation des colères qui n’est pas la convergence des luttes mais celle des vies brisées, mutilées, cassées par le capital, qui s’exprime dans une rage collective contre Macron et son Monde. Ce qui est en jeu pour les « gens ordinaires » dans ce soulèvement de la vie, c’est précisément que la vie, leur vie, compte moins que la marchandisation, le profit, l’argent, l’économie. « Macron nous vole deux ans de notre vie!« , disent les manifestants contre la réforme des retraites. L’agro business nous vole notre eau, donc une partie de notre avenir et celle de nos enfants disent les révoltés de Sainte Soline. La vie des sans papiers comptent moins. La vie des noirs et des arabes comptent moins. La vie des femmes compte moins, disent les femmes dans les manifestations du 8 mars. La vie des jeunes compte moins, disent les jeunes victimes de la précarité, confrontés à l’éco anxiété née de la crise bio climatique. C’est la convergence des vies et la demande d’une nouvelle espérance dans un avenir d’égalité, de justice sociale et écologique, d’humanité et de dignité qui se lève face à la folie du forcené de l’Élysée qui, bunkérisé dans son palais, se veut le représentant du Parti de l’ordre. Toutes celles et ceux qui marchent contre la nouvelle monarchie refusent cette alternative entre l’ordre et le chaos. Car le représentant du chaos c’est Macron lui-même !
Ce que nous voyons dans ce moment historique, c’est un peuple constituant en train de se former. Les générations Nuit debout, Adama, Climat, Gilets Jaunes cherchent confusément une alternative politique à travers le soulèvement des vies. Ce soulèvement passe par la désobéissance civile, le blocage, les grèves dans les secteurs stratégiques, les solidarités concrètes, à travers les caisses de grève, les manifs sauvages ou le cortège de tête, ce be water. Il passe par la capacité du mouvement à s’auto-organiser dans les piquets de grève, les marches aux flambeaux, les assemblées populaires ou interpro, les comités d’action qui se mettent en place ici ou là.
C’est une insurrection qui vient d’en bas, qui a du mal à poser la question du pouvoir car elle vomit le pouvoir. Elle est défiante envers toutes les institutions, le spectacle parlementaire et les partis. Elle est pour la destitution du pouvoir d’Etat.
Là est le problème: par quoi remplacer cet État policier qui gangrène nos vies, qui pollue nos sols et notre air, nos corps, nos têtes, veut nous transformer en part de marché ? Comment prendre nos affaires en main ?
Dans cette étape notre stratégie s’appuie sur trois piliers :
- L’auto-organisation populaire ;
La voie tracée par les Soulèvements de la Terre est la bonne. Un réseau de groupes locaux, ancrés dans les territoires, renforce, soutient et développe des Zones de défense contre les projets inutiles et imposés des méga bassines à l’autoroute Castres- Toulouse. D’autres secteurs, comme les éboueurs,- soutenus par des groupes d’activistes et par le Réseau Eco Syndicaliste -, montrent que ce chemin de l’autonomie ouvrière et populaire liée à l’écologie sociale est la base de formes de pouvoir populaire, même limitées temporairement et spatialement.
2. La construction d’un mouvement contre toutes les répressions sociales et politiques. Nous avons besoin, comme l’a montré le 15 avril la tenue de l’Assemblée Populaire des Libertés à Paris, d’organiser l’autodéfense collective du mouvement social. Dans les années 70, le Secours Rouge avait permis que s’organisent des centaines de comités locaux qui aidaient les mal- logés et les locataires à lutter contre les expulsions, les immigrés à se défendre contre les flics et les racistes, à lutter contre les violences policières, les mineurs à organise un tribunal populaire contre les accidents du travail… Nous avons besoin d’un dispositif global de ce type organisé à la base permettant de regroupe les militants associatifs, syndicaux et politiques, indépendamment de leur appartenance, et épaulé par un comité de liaison intégrant des mouvements comme la LDH, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France, les organisations syndicales et associatives comme ATTAC et le Dal. La première étape pourrait en être des États généraux locaux pour nos droits et libertés.
3. En finir avec l’hégémonie culturelle de la droite et de l’extrême droite dans le débat intellectuel.
La guerre culturelle engagée depuis les années 70 par la Nouvelle Droite débouche aujourd’hui dans plusieurs pays européens sur la prise de pouvoir réelle (Italie, Hongrie) ou potentiellement possible (en France, en Espagne, en Suède ou au Danemark). Leurs idées polluent l’ensemble du paysage politique, à commencer par la droite dite de gouvernement ou même la gauche. Combattre l’idéologie dominante et ses effets mortifères, c’est faire exister une culture collective en prise sur nos luttes et nos aspirations, développer des savoirs partagés,organiser des lieux de débat et de formation. Nous avons besoin d’une contre-offensive sur le plan intellectuel et idéologique pour faire face au néofascisme qui pointe.
Ces trois conditions sont complémentaires avec la construction d’un Front Populaire Écologique et Social sur le plan politique. Pour défaire la politique de Macron, il faut créer les conditions d’une alternative politique. Aujourd’hui si la NUPES est en crise, si chacune des organisations la composant est sous beaucoup d’aspects critiquable, elle représente pourtant, face au RN, la possibilité à terme de gagner.
Il faut se rappeler que la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, les lois Auroux sur la démocratie au travail, la dépénalisation de l’homosexualité, l’abolition de la peine de mort et bien d’autres conquêtes ne furent obtenues qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. En 1936, les premiers congés payés ou la semaine de 40 heures furent gagnés avec la conjonction de la grève de juin et l’arrivée au pouvoir du front populaire avec Léon Blum.
La lutte et les urnes ne s’opposent pas. Mais pour que la NUPES ne soit pas un astre mort-né, il faut qu’elle accepte de s’organiser localement, qu’elle s’ouvre aux non encartés, que soit débattu partout, de la base au sommet, un programme de transition et de rupture anti libérale, que les partis n’essaient plus de soumettre le mouvement social à leur agenda électoraliste mais que, au contraire, les exigences du mouvement social puissent être relayées correctement dans les collectivités territoriales et au Parlement.
La Révolution n’est pas « le Grand Soir » où on fait table rase du vieux monde. C’est un processus où l’on construit nos propres institutions de contre- pouvoir dès maintenant. Pour qu’une Assemblée constituante puisse mettre à bas cette constitution, en finir avec le 49/ 3, et tous les articles réactionnaires qui permettent au pouvoir de se défendre, nous aurons besoin de points d’appui, y compris parlementaires. Nos camarades Kurdes en Turquie se battent pour imposer le communalisme et l’écologie sociale à partir du bas tout en participant aux élections locales et nationales. Nous avons une gauche sociale, politique et écologiste à construire dans la durée. Il faut accepter de bouger nos lignes de tous côtés et inventer d’autres modèles d’alliances. Tout cela doit se discuter de façon complètement ouverte et sans tabous.
Notre combat ne s’arrête pas avec la réforme des retraites. Car notre perspective c’est celle de l’autogestion de nos vies, à toutes les échelles.
Notre voie c’est ce que décrivait l’écrivain résistant gaulliste et chrétien Maurice Clavel fin 1968 dans son manifeste illustrant son documentaire intitulé précisément « le soulèvement de la vie »:
« Je m’adresse à un peuple qui, malgré bien des actes, depuis trois ans,comparables aux mille ruisselets invisibles de la marée montante, n’a pas encore su se traduire, se répandre, se délivrer. (…) Je m’adresse à tous ceux qui travaillent au bas de l’échelle, avec d’autant plus de vertu que peu de joie, et que l’argent facile, en haut, démoralise ! (…) ; Je m’adresse surtout à toute la jeunesse, et je l’appelle à dépasser les dépressions et provocations pour prendre et refaire ! Je m’adresse aux vieillards qui vont bientôt mourir en se disant qu’ils n’ont rien laissé…Mais ce n’est pas vrai !
Tout commence, si vous avez le courage ! Si le champ, le quartier, l’atelier, l’usine, la ville, la région, le peuple enfin, prennent la parole et la gardent !
A vous de vivre, demain ! «