Ce tâtonnement, il faut le conserver. . .
A l’occasion des 10 ans de La Belle Aude, relisons cet interview de 2015, toujours si actuelle (retrouver sur http://alternatifs81.fr/?p=15934)
Confluences 81 : A l’heure où la plupart des luttes , lors des fermetures d’entreprises visent surtout à permettre de gagner un maximum de droits et d’indemnités pour les salariéEs (“partir avec la valise”), comment les “Pilpa” en sont-ils arrivé à reprendre leur entreprise, qui plus est sous forme de “coopérative” ?
Michel MAS : C’est le résultat d’un long processus dans lesquels différents éléments ont contribué à l’élaboration, à la maturation puis à la mise en œuvre de ce projet. Le parcours des personnes, très attachées à l’entreprise, le fait que celle-ci ait été vendue à un fonds d’investissements – qui ne voulait pas vendre à des concurrents – a été un des éléments forts. Des discussions au forum social de la fête de l’Huma, avec l’association A2P, au sein de la fédération agroalimentaire de la CGT-en particulier avec les Fralib -, avec Claude KOWAL (Association pour l’Autogestion) ont persuadé certainEs salariéEs de tenter l’aventure.
D’autres sont partiEs “avec la valise”: En luttant pour l’emploi et pour garder les savoir-faire, nous avons réussi à arracher un certain nombre d’avantages (de 14 à 34 mois de primes extra légales par exemple, alors que pratiquement au même moment, à CASTELNAUDARY, les Spanghero, n’avaient que 2 à 3000 €). Le fait de rencontrer des personnes différentes, de s’interroger sur nos luttes, de vouloir préserver nos emplois, a permis à l’idée de mûrir en douceur. . Comment faire pour préserver et valoriser des savoir-faire construits au fil des années et pour mettre en valeur nos produits régionaux? Ne pas en faire n’importe quoi, n’importe comment. Qu’est ce qu’on peut faire ? Avec quels partenaires dans le coin? (La Conf’ Paysanne en a été un très rapidement). De nouvelles rencontres. On découvre d’autres compétences, on échange, on construit.
Confluences 81 : Actuellement, quel est votre fonctionnement ?
D’abord, il y a constamment des échanges entre nous. Des réunions entre salariés coopérateurs ont lieu tous les 15 jours. Les sociétaires sont associés mais participent moins fréquemment. L’Ag est souveraine. Tout le monde parle, cela peut donner l’impression d’un joyeux bordel . . .ça manque de formalisation, certes, mais en moins d’un an, ils ont changé de matériel, embauché du monde, sont passé en”:2×8 “, amélioré les conditions de travail, travaillé sur les produits, affiné la production. Techniquement, ils ont évolué. Rien n’est figé. Ce tâtonnement, il faut le conserver : c’est ce qui fait la dynamique . . .: . Parce que “le savoir, c’est le pouvoir”, il nous faut constamment veiller au degré d’information pour que chacun puisse être en mesure de prendre des décisions.
Confluences 81 : Il y aurait, rien que sur ces divers points, de quoi faire tout un ” dossier central” d’un prochain numéro du journal ! Passons à un autre point : pendant la lutte, le syndicat (CGT) a été un outil déterminant. Actuellement, quelle est la place et le rôle du syndicat dans la Coopérative du Sud ?
Prendre en compte les besoins des salariés. . . En sachant que quasiment tout le monde est syndiqué (y compris le directeur et le président – qui étaient les “piliers” du syndicat chez les PILPA). Un “:syndicat jeune”, avec de nouveaux responsables, qui essaie de trouver sa place. Des propositions émanent du syndicat. Il partage les orientations de la coopérative. Sur les conditions de travail, il a recensé les besoins de chacun. Et lancé un questionnaire à propos de la satisfaction de ceux-ci. Ce qui aide.. . Mais il me semblerait nécessaire que le syndicat ne se focalise pas sur ce qui se passe uniquement dans l’entreprise, mais qu’il sache s’ouvrir aux préoccupations autres.et plus transversales telles (services publics, santé, protection sociale, transport, agriculture paysanne…). Compliqué, mais on avance
Confluences 81 : Quel est votre financement ?
Il est “divers”: nous avons eu 1 million d’Euros du Fonds d’investissement, – ce qui nous a permis d’investir 815000 euros -, et 200000 € pour la formation des coopérateurs (ce qui a été assez efficace !). Nous avons deux prêts pour un total de 150000 €. Le rapport de forces que nous avons pu créer, nous a permis d’obtenir des aides, sous des formes diverses, de la part des pouvoirs publics. (locaux, dérogations diverses . . .). La qualité du produit et l’histoire de cette aventure humaine ont un écho favorable chez les citoyens consommateurs ! Et le marché s’en réjouit. Pas de gros problèmes de financement. On a multiplié par deux le chiffre d’affaires de l’année dernière. On sent que les gens s’approprient ce projet ; Un exemple, anecdotique mais significatif : dans des hypermarchés, on a pu voir des clients expliquer à d’autres que c’étaient nos glaces qu’il fallait prendre, que c’étaient les meilleures !
Confluences 81 : Tu as cité tout à l’heure, la “mise en avant des produits et des partenaires locaux”. Peux-tu nous en dire plus ? Café ou chocolat, ce ne sont tout de même pas des “produits locaux” !
Pour les fruits, nous avons un contrat avec une coopérative fruitière du SOMAIL (près de Narbonne), le café équitable provient de Côte d’Ivoire est importé par une entreprise de Perpignan, les étiquettes, c’est une entreprise de Chalabre.
Je ne peux pas dire le volume de fournisseurs locaux. . . Autour de 80% ? Mais cela suppose de vérifier, de contrôler et associer les consommateurs à ce contrôle c’est aussi le rôle que l’association des Amis entend jouer. Ainsi par exemple nous avions trouvé un producteur “local” de fraises : les ¾ de la récolte provenaient de Roumanie !
Confluences 81 : Je suppose que votre démarche a, d’ores et déjà, modifié des choses sur des questions comme le rapport au travail, les relations entre les personnes, et même la façon de voir la vie ?
C’est certain ! Les personnes travaillent dans un autre climat, plus serein, plus transparent. Il n’y a pas de patron (directeur, c’est une fonction. Il participe à d’autres tâches, comme tout le monde. . .) Pour répondre à la nécessité de production et constituer deux équipes en 2×8, nous avons embauché à la saison des intérimaires qui avaient déjà travaillé chez Pilpa. Ils nous disent, “C’est plus cool qu’avant et avant, chez Pilpa, c’était déjà plus cool qu’ailleurs question conditions de travail (grâce à la présence d’un syndicat) Des pauses toutes les ½ heures, avec changement de postes, pour éviter la répétition. Les rapports salariaux sont de 1 à 1,3 . Pour monter les projets, nous avons constitué des groupes de travail sur la base du volontariat, (comment on va organiser la production, la commercialisation, les finances, . . .). Les personnes se sont déterminées, ont changé de groupe . . . Ce qui fait que à présent chacun dit son mot sur l’ensemble des secteurs ; tout le monde se sent concerné.
Nous vivons une belle histoire, qui redonne de la dignité aux personnes qui la vivent, une histoire passionnante parce qu’elle permet de créer des liens, de produire du sens, de vivre une dynamique sans cesse renouvelée. Ce combat que nous menons nous permet de travailler en transversalité, de travailler “sur le local”. Il permet que les salariéEs s’engagent en “coresponsabilité” – c’est nouveau et intéressant -, Obliger les pouvoirs publics à acquérir des terrains pour en faire un “bien public”, travailler avec des paysans, avec des ouvriers d’autres entreprises, avec des artistes sur un projet commun de coopérative, c’est nouveau et passionnant. Tout cela permet de faire de l’Education Populaire, de travailler sur les questions de pouvoir, de propriété, mais aussi sur les questions de “sens de l’activité humaine” : on produit pourquoi, comment. C’est la consécration de tout un processus militant.
Dossier central de Confluences 81 n° 116 (septembre 2015)
Entretien réalisé par téléphone le 5 août à 19h
http://confluences81.fr/