La lutte contre l’agro-industrie passe par la préservation de l’art de vivre à la française, au moment de passer à table.
En regardant l’assiette de nos voisins allemands à l’heure où on nous abreuve de «miracle économique», force est de constater que le contenu laisse à désirer. Préserver un héritage culturel, un art culinaire, c’est s’opposer à une nourriture standardisée, aseptisée et revendiquer un droit à une alimentation de qualité. L’abondance des saucisses industrielles au moment du déjeuner interpelle quant aux vertus du «mirage agricole» d’Outre-Rhin. Le modèle économique allemand des néo-libéraux est loin d’être aussi couronné de succès que ses propagandistes veulent nous le faire croire.
La crise de l’élevage européen et la sur-offre laitière allemande au sein du marché international interroge le fameux «modèle» allemand qui, depuis la révolution verte, s’est illustré par une «chimisation» massive et l’industrialisation forcée de l’agriculture. La concentration des exploitations a été plus importante dans l’élevage, qui est devenu de plus en plus intensif notamment dans l’aviculture, l’élevage porcin et laitier. L’excellente productivité de ses entreprises chimiques accompagne l’agriculture chimique (Bayer, BASF et Hoechst), aujourd’hui fabricants de médicaments et d’OGM, par recyclage de production d’armes chimiques datant de la 1ère guerre mondiale.
L’Allemagne est aujourd’hui le 2ème plus gros exportateur mondial de pesticides, les grands groupes de l’agroalimentaire Haribo, Herta, Bahlsen sont flamboyants à l’exportation par pression sur les salaires, souvent au mépris des conditions de travail (emplois détachés). Les fermes industrielles devenues des références pour les investisseurs français fleurissent sur tout le territoire avec des arguments énergétiques fallacieux (méthaniseurs, installations photovoltaïques très gourmands en aides PAC). Ces complexes économiques concentrationnaires sont des usines à «minerai» au sein desquelles les salariés sont des vulgaires outils de production, au mépris du bien être animal.
Les dégâts irréversibles de l’agriculture chimique
L’agriculture conventionnelle provoque d’énormes dégâts environnementaux en Allemagne. L’agriculture est le second secteur qui émet le plus de gaz àeffet de serre juste après l’industrie. La baisse de qualité de l’eau dans les années 1980 a été principalement causée par l’élevage de cochons et de volaille dans des zones déjà saturées dans l’agriculture intensive. Celle-ci nécessite une utilisation croissante d’engrais chimiques et un nombre toujours plus grand de têtes de bétails présents dans des zones plus petites. Divers scandales sanitaires Outre-Rhin ont émaillé l’actualité dont en 2010, avec des œufs contaminés découverts dans 4 500 fermes d’Allemagne (les poules ont été nourries avec des graisses frelatées destinées à l’industrie), et au printemps 2011, l’épidémie mortelle provoquée par la bactérie Escherichia Coli (une trentaine de morts). L’Allemagne est en tête en Europe pour la pollution de l’air et la production de déchets ; elle empêche, sur ordre de l’industrie automobile, des niveaux d’émission de gaz d’échappement plus bas et, sur ordre de l’industrie chimique, des directives écologiques au niveau européen avec des conséquences tragiques sur la biodiversité, la qualité des sols et en particulier la microfaune. La fièvre des exportations et de transport de marchandises réactive la consommation de charbon et production de « grosses cylindrées ».
Pionnier en matière de « hard-discount » (dans les années 40), l’Allemagne est un gros consommateur d’alimentaire à bas prix et détient des records d’obésité.
Ce segment de distribution représente plus de 40% du marché de l’alimentaire Outre-Rhin (Lidl, Aldi, Netto) contre 14 % en France. Dans ces conditions, conquérir les marchés grecs pour éponger la dette est devenu un jeu dangereux et cynique qui discrédite l’Eurogroupe marqué par son arrogance à l’égard de la souveraineté des peuples.
La face cachée de l’art de vivre à l’allemande nous donne des gages pour refuser culturellement les dérives productivistes et revendiquer un «droit à une alimentation saine de qualité».
La réforme de nos modes de développement et nos pratiques de consommation est en jeu, appelée par l’urgence climatique avec en perspective en décembre à Paris, la conférence mondiale sur le climat (COP 21) qui laisse espérer de faibles mesures. Lier transformation sociale et réponse au basculement climatique est au cœur des enjeux syndicaux et sociétaux.
La nouvelle loi sur la transition énergétique prévoit de relever la taxe carbone française, elle doit intégrer les coûts sociaux et écologiques de l’agro-alimentaire. Elle doit choisir une autre orientation à la politique agricole par la restauration de la souveraineté alimentaire, la valorisation des systèmes alimentaires relocalisés et la production artisanale et labellisée. La compétition, facteur de dumping social et environnemental pourrait s’accélérer avec les accords de libre-échange transatlantiques (TAFTA) qui signeraient le coup de grâce pour de nombreux éleveurs.
-William Élie-