Editorial PEPS 25 mai 2023 https://confpeps.org/jusqua-la-derniere-goutte/
L’eau est le principal constituant du corps humain, le symbole universel de la vie, l’essence de la nature.
Quels sont aujourd’hui les dangers qui menacent la plus précieuse des ressources. ? Aujourd’hui, la société industrielle et sa culture dominante, productiviste, extractiviste, « croissantiste » et consommatrice font peser des dangers sur l’eau qui est une ressource rare et précieuse car l’eau douce (la seule directement utilisable par les humains) ne représente que 2,8 % de l’eau sur Terre et que moins de 1 % de celle-ci est accessible et utile pour la consommation des êtres vivants. A commencer par la pénurie d’eau et l’inégalité du partage de cette dernière. Dans le monde, 40% de la population mondiale éprouve des difficultés pour obtenir son eau. Nos modes de vie outranciers en terme de consommation, de gaspillage et de pollution n’y sont pas étrangers.
Focalisons-nous ici sur les PRINCIPALES CAUSES de cette pénurie.
Le changement climatique : il est évidemment un des facteurs d’aggravation. Le dérèglement climatique et l’élévation des températures, outre l’accroissement mécanique de la consommation pour la boisson et l’irrigation, favorise la hausse des pertes par évaporation et accroît le déficit de réalimentation des nappes phréatiques.
Les événements météorologiques extrêmes comme les orages « tropicaux » entraîneront des risques de surcharge des réseaux d’épuration. La modification des saisons conduira probablement à une « mauvaise » répartition des pluies au cours de l’année.
En France, le débit des fleuves pourrait s’affaiblir de 20 à 30% d’ici à 2050. L’été dernier, 700 communes ont été concernées par des problèmes d’eau potable. En l’absence de mesures efficaces (l’État français a été condamné à plusieurs reprises pour son inaction climatique), les arrêtés d’interdiction devraient encore pleuvoir cet été. Des mesures socialement inégalitaires au regard des mésusages de l’eau que pratique sans vergogne la classe dominante tout au long de l’année : arrosage des golfs, remplissage des piscines individuelles,… Lors des interventions sur les incendies de plus en plus nombreux et fréquents, de l’eau potable issue des bouches d’incendie serait utilisée (information à confirmer).
Les fuites d’eau : en France, on estime qu’au moins 20% de l’eau est gaspillée du fait de la vétusté et du défaut d’entretien de certaines canalisations d’approvisionnement. Dans certains pays les fuites peuvent représenter jusqu’à 70%. En 2020 en Guadeloupe, c’était 43,3% de l’eau qui était ainsi perdue !
Mais le besoin croissant en eau incombe SURTOUT à la modification des habitudes alimentaires avec, à l’échelle mondiale, une consommation de plus en plus importante de viande. Or la production d’un kilo de viande de bœuf nécessite entre 5 000 et 25 000 litres d’eau contre 500 à 2 000 litres pour un kilo de blé. Un litre de lait requiert déjà 1 000 litres d’eau et un seul morceau de sucre blanc 10 litres!
Un régime alimentaire occidental consomme environ 4 000 litres d’eau « virtuelle » par jour, contre 1 000 litres d’eau pour un régime alimentaire chinois ou indien ».
Globalement, l’agriculture productiviste – via l’irrigation – est le premier consommateur d’eau douce de la planète avec 70% des prélèvements (et jusqu’à 95% dans certains pays en développement) contre 20% pour l’industrie et 10 % pour le logement et les bureaux. Il n’en va toutefois pas de même en France : sur les 30 à 40 milliards de mètres cubes d’eau douce prélevés chaque année dans les nappes phréatiques et les cours d’eau 3,5 milliards sont prélevés par les agriculteurs (11,6%), 6 pour l’eau potable (20%) et 15 pour refroidir les centrales électriques (50%).
Avec le réchauffement climatique ces chiffres risquent d’évoluer dans le mauvais sens si le gouvernement français et l’Union Européenne persistent à favoriser le modèle agricole actuel.
En France, côté agriculture productiviste sous la pression de la FNSEA, les projets, dont les très critiquées méga-bassines, se développent malgré l’opposition citoyenne et celle des spécialistes.
D’après Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS (France info, 25/9/21).
« C’est un contresens de créer des réservoirs d’eau en surface. […] C’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau ». Non seulement cette eau en moins affecte la biodiversité mais l’eau stagnante en surface, rendue plus alcaline, développe les micro-algues et les bactéries… «
En outre ces ouvrages sont principalement destinés à la culture du maïs très gourmand en eau pour 15% des exploitations agricoles et 6,8% de la surface agricole utile (SAU). Donc c’est bel et bien une minorité qui s’accapare ainsi une ressource vitale susceptible de faire défaut ailleurs plus tard. « Les méga-bassines symbolisent ainsi l’aberration écologique d’un modèle agricole productiviste à outrance, qui privilégie les besoins insatiables de la (sur)production plutôt que l’adaptation aux ressources naturelles » (Canard enchainé, Avril 2023). Le tout, évidemment, financé à majorité par de d’argent public.
A toutes ces causes viennent s’ajouter les pollutions de l’eau, des pollutions là encore à plusieurs facteurs. Rappelons que la consommation d’eau insalubre associée aux maladies et au manque d’hygiène, est la première cause de mortalité dans le monde! Nous n’allons pas développer ici toutes les sources de pollution mais nous nous devons tout de même de citer les deux principales sources de pollution de l’eau douce.
La pollution agricole:
Les agriculteurs devraient être parmi les personnes les plus respectueuses de la nature. La haute finance (pour le financement) et l’industrie phytosanitaire (pour les dépenses) en ont décidé autrement: pris entre le marteau et l’enclume, ils n’ont d’autre choix que de faire de la production intensive tout en détruisant les sols et en polluant l’eau! Premiers consommateurs d’eau (70%), les agriculteurs sont donc également ses premiers pollueurs (pesticides et engrais). En France, les pesticides sont présents sur 91 % des mesures en rivière et 55 % des mesures souterraines.
Les pollutions industrielles :
L’industrie fabrique des milliers de molécules chimiques, il existe un risque potentiel de les retrouver dans l’eau. Or les méthodes de détections sont le plus souvent en retard sur les pollutions.et certaines substances comme les perturbateurs endocriniens sont présents à des concentrations si faibles qu’ils ne sont pas détectables. Les résidus de médicaments et de cosmétiques, s’ils se déversent dans les rivières rendent les poissons stériles et ils ne sont pas ou peu stoppés par nos unités de traitements des eaux et se retrouvent dans notre eau du robinet. Les dioxines, substances parmi les plus cancérigènes au monde et que l’on retrouve de plus en plus dans les nappes phréatiques, sans être aucunement capables de les filtrer. Il s’agit de sous-produits issus des désherbants et d’agents de préservation du bois ou de l’incinération des déchets ménagers.
La pollution exportée dans les pays dits « en développement » :
Globalement, si l’industrie européenne a fait des progrès en matière de pollution industrielle, il n’en va pas de même dans les pays à bas coût qui alimentent notre frénésie de consommation. La délocalisation de notre pollution de l’eau ne restera pas sans conséquence.
L’impact de la Consommation :
Pour ne citer qu’un seul exemple (la liste serait trop longue) : Un rapport de Greenpeace de décembre 2010 révélait les conditions désastreuses – pour les travailleurs et l’environnement – de la production de jeans et de soutiens-gorges dans deux villes chinoises de la province du Guangdong: Xintang, la « Capitale mondiale du Jeans » avec une production annuelle de 260 millions de paires et Gurao, une ville-industrie dont 80% des ressources proviennent des soutiens-gorges et autres sous-vêtements. Résultats ? Des cours d’eau qui ne ressemblent plus à de l’eau, la disparition de toute vie aquatique, des pollutions aux métaux lourds – jusqu’à 128 fois la limite chinoise pour le cadmium par exemple – des pathologies en pagaille chez les ouvriers ou les habitants, des enfants exploités,… Et tout cela pour quoi ? Des jeans moins chers et un look denim « délavé » à la mode (11000 l d’eau) ?
Et enfin le business de l’eau :
La privatisation de l’eau est en soi un scandale pour une ressource indispensable à la vie: Les multinationales se targuent de fournir les consommateurs mais ces consommateurs sont toujours les plus favorisés tandis que le niveau des nappes phréatiques (d’où provient l’eau embouteillée) diminue et que la pollution augmente pour l’ensemble de la population. Même chose avec l’eau du robinet où les intérêts particuliers d’une minorité priment trop souvent sur l’intérêt général ou collectif.
Les multinationales de l’eau en bouteille :
Multinationale basée en Suisse, Nestlé est le leader mondial de l’agroalimentaire, notamment grâce au commerce de l’eau en bouteille, dont elle possède plus de 70 marques partout dans le monde. Quelques multinationales seulement se partagent un marché d’une centaine de milliards de dollars pour plus de 200 milliards de litres dont Nestlé, le leader mondial avec 17% du marché. (Danone est numéro 2) via plus de 70 marques dont Vittel, Perrier et San Pellegrino.
Les multinationales de l’eau du robinet :
Côté robinets (français), le temps des marges royales semble être derrière les trois mastodontes du secteur : Suez Environnement, Veolia et la Saur. Certaines mairies et collectivités n’hésitent plus à repasser à une gestion municipale et, au minimum, à renégocier les contrats à la baisse. Le passage en régie c’est la modernité, celle d’un service public plus efficace qui permet de diminuer le prix de vente de l’eau à l’usager contrairement au privé où les factures sont en constante augmentation, pendant que les canalisations ne sont pas entretenues.
Pour des propositions « communalistes » en France et dans le monde :
• Opter pour un autre modèle d’agriculture : l’agro-écologie, le développement de l’agriculture biologique à l’échelle mondiale permettrait ainsi de nourrir l’ensemble de la population présente et à venir.
• Favoriser l’achat de produits locaux auprès de paysans qui privilégient des pratiques agro- écologiques – sans attendre une action peu probable de l’État en faveur de ce modèle agricole – pourtant beaucoup moins consommateur d’eau et sans intrants polluants.
• Agir pour la création d’une sécurité sociale de l’alimentation qui par conception favorisera un nouveau modèle agricole paysan, nourricier et qualitatif accessible pour tou-te.s.
• Modifier nos habitudes alimentaires – surtout, limitons notre consommation de viande, en privilégiant la qualité. Seulement 1/4 des céréales cultivées en Europe sont destinées à l’alimentation humaine. Plus de 2/3 des terres agricoles de l’Union européenne servent à alimenter le bétail !
Pour enrayer la croissance de l’agriculture industrielle et productiviste:
Eviter les eaux en bouteille – il faut 7 litres d’eau pour produire une bouteille en PET mais jusqu’à 50 litres jusqu’au consommateur final.
• Contre la marchandisation de l’eau :
- Nationaliser ou socialiser les multinationales françaises de l’eau Veolia et Suez qui ont un rôle néfaste en France et à l’extérieur.
- Municipaliser la gestion et la distribution de l’eau, cette ressource vitale ne peut être laissée aux mains de la finance et des multinationales pour des raisons évidentes, démocratiques (partage – égalité des inégaux) et sociales (coût moindre et meilleure niveau de qualité).
• Préserver les ressources (zones humides, non artificialisation des terres,…) en participant à toutes les luttes locales de sauvegarde de ces zones.
• Consommer moins et mieux (cf ex du jeans pollution et besoin en eau pour le produire).
A l’échelle locale et internationale travailler collectivement et démocratiquement à mettre en place des principes suivant l’exemple du manifeste de Riccardo Petrella et de son « contrat mondial « :
- L’eau « source de vie » appartient aux habitants de la Terre, en commun.
- Le droit à l’eau est un droit inaliénable individuel et collectif.
- L’eau doit contribuer à la solidarité de vie entre communautés, pays, sociétés, sexes et générations.
- L’eau est une affaire de citoyenneté et de démocratie.
- Toute politique de l’eau implique un haut degré de démocratie au niveau local, national, continental, mondial.
- L’accès à l’eau passe nécessairement par le partenariat. Il est temps de dépasser les logiques des « seigneurs de la guerre » et des conflits économiques pour l’hégémonie et la conquête des marchés.
- Nous pensons que la prise en charge financière de l’eau doit être à la fois collective et individuelle selon les principes de responsabilité et d’utilité.