En Espagne, il n’y a pas que Podemos comme alternative du mouvement social

Déçu de voir les places vides et par les politiques électorales de Podemos, un nouveau mouvement social appelé Apoyo Mutuo (entraide mutuelle) a vu le jour à la recherche du renouveau de l’horizontalisme populaire.
Voici une interview de Dilia Puerta, militante féministe et porte-parole d’Apoyo Mutuo, qui décrit des motivations derrière ce projet et des aspirations à aller de l’avant.
Nous nous reconnaissons largement dans les idées exprimées dans ce texte, repris sur le site de nos camarades d’Alternative Libertaire 31
Il y a quatre ans, le mouvement du 15 mai des Indignés, naissait sur la Puerta del Sold de Madrid. Le mouvement qui unifiait une large variété de courants politiques gagna ses lettres de noblesse grace à sa critique des mesures d’austérité menées par les partis au pouvoir (le PP et PSOE) et à son désir d’une réelle démocratie maintenant (¡Democracia real ya!) qui se concrétisa par des assemblées démocratique et le rejet de toute forme de hiérarchie.

En mai 2014, Podemos émergea comme le nouveau parti politique qui tentait de conduire la démocratie populaire du 15-M dans les urnes, gagnant cinq sièges au Parlement Européen. Bien que Podemos se déclare l’héritier légitime du mouvement du 15-M, des voix s’élèvent à gauche pour affirmer que le nouveau parti a surtout précipité la démobilisation populaire en faisant croire que le mal-être social pourrait être résolu par les élections et par un parti « pas comme les autres ».
Précédant les élections municipales du 24 mai, le parti que les résultats électoraux donnaient gagnant s’est pourtant distancié de ses promesses de mettre fin aux expulsions, de garantir un revenu minimum et de réduire l’âge de la retraite de 65 à 60 ans.
Alors que les médias se concentrent sur les résultats électoraux, une nouvelle initiative appelé Apoyo Mutuo (entraide mutuelle) a été dévoilé le 9 mai par des militant-e-s des mouvements sociaux, sceptiques quant à la voix électorale mais qui cherchent au contraire à un retour vers un mouvement social horizontal.
Voici une interview de Dilia Puerta, militante féministe et porte-parole d’Apoyo Mutuo, qui décrit des motivations derrière ce projet et des aspirations à aller de l’avant.
Qu’est-ce que Apoyo Mutuo ? Peux-tu en dire plus sur ses origines et ses développements à l’heure actuelle ?
Apoyo Mutuo a pour origine la frustration ressentie par certaines personnes lorsque l’on voit qu’une large part de l’énergie qui fut mobilisée lors du mouvement du 15-M – tous les questionnements collectifs – est en train de dériver dans une voie électorale, vidant les rues et les places. Et tout cela se passe alors que beaucoup d’autres personnes issues des mouvements sociaux et qui ne s’identifient pas à ce changement ont l’impression de voir le train partir, les laissant derrière.
C’est à ce moment-là que l’idée d’écrire un manifeste s’est développée et c’est comme ça que le « construire un peuple fort, faire un autre monde possible » (Construyendo Pueblo Fuerte, para posibilitar otro mundo) [qui pose les bases d’Apoyo Mutuo] est arrivé. C’est un manifeste qui met en commun une déclaration d’intentions et qui rapidement a récolté 600 signatures. C’était l’élan fondateur derrière la création de l’organisation.
Nous sommes un large nombre de militant-e-s qui se sont rassemblés pour s’enrichir mutuellement.
C’est un réseau, une organisation ou une fédération ?
Pour le moment c’est un réseau de militant-e-s qui veulent s’organiser à un niveau commun partout dans le pays, et qui aspire à voir des groupes au niveau territorial rejoindre l’initiative dans le future.
L’annonce de la création d’Apoyo Mutuo a eu lieu quelques semaines avant les élections municipales. Podemos a clairement été un produit controversé du mouvement des Indignés. Comment vois-tu l’influence des Indignés et de Podemos dans l’émergeance d’Apoyo Mutuo ? Essayez-vous dans une certaine mesure de réagir à la popularité de Podemos ?
Les Indignés fut une force de mobilisation extraordinaire : à la Puerta del Sol des gens avec des perspectives très différentes en terme de luttes sociales se sont rassemblés autour de l’idée qu’ils [les politiciens] ne nous représentent pas (“No nos representan”) qui était déjà un consensus accessible puisqu’il y avait un sentiment palpable d’indignation de la part d’un peuple qui était fatigué de se sentir floué par la classe politique et qui sortait dans les rues pour manifester.
Dans ces manifestations, le besoin de nous organisés émergea rapidement. Ceux et celles qui avaient clairement des arrière-pensées électorales ont agi fortement et avec coordination alors que ceux et celles qui y étaient réticent sont restés paralysés, sans savoir comment articuler un discours commun et une organisation qui pouvait créer un espace pour ces sensibilités. Apoyo Mutuo est né de cette auto-critique.
Ce n’est pas une réponse à la popularité de Podemos, c’est une option parallèle à l’heure où l’on peut constater que les quartiers et les places se sont vidés, parce que le sens de la représentation et de l’espoir que les gens ont ressenti avec cette nouvelle proposition électoral a eu pour résultat qu’il y a de moins en moins de mobilisations dans les rues. Cela génère de l’incertitude pour nous qui pensons que la politique ne peut se limiter à l’élection de représentant et d’un bulletin de vote tous les 4 ans. Nous ne pouvons pas déléguer notre responsabilité, en tant que peuple nous avons besoin d’être partie prenante dans les processus de prise de décision.
 
Lors de la présentation d’Apoyo Mutuo à Madrid le 9 mai dernier, l’un des orateurs a lu une citation des Zapatistes qui dit « nous ne disons pas de voter, mais nous ne disons pas non plus de ne pas voter ». En même temps votre manifeste dit :
Nous respectons les camarades qui avant ce diagnostic commun ont choisi le chemin institutionnel de la participation au travers d’initiatives électorales, mais nous appelons à la mémoire collective pour mettre en évidence que les droits, les conquêtes et les grandes transformations sociales n’ont jamais été données par les institutions. Elles furent obtenues en se battant, gagnées dans la rue, dans les entreprises et dans les quartiers. Notre mémoire va suffisamment loin pour se rappeler que seul un peuple fort et combatif peut s’imposer face aux élites qui nous gouvernent ».
 
Peux-tu commenter brièvement votre perspective sur les élections ? Il me semble que vous n’organisez pas de campagne pour l’abstention active ? Est-ce que « l’autre campagne » des Zapatistes a influencé Apoyo Mutuo ?
Voter ou ne pas voter ne semble pas être la question importante ou transcendante. Ce que nous voulons est que le peuple se batte pour ses droits au-delà du jour des élections, créer de nouvelles formes d’auto-organisations, débattre,  se rassembler de telle manière qu’en tant que voisins et en tant que peuple nous serions capable de proposer des réponses articulées et convaincantes. Ce n’est pas si important que tu votes ou que tu t’abstiens tant que tu agis consciemment tous les autres jours de l’année.
Et évidement le mouvement Zapatiste est une référence. « L’autre campagne » a été une inspiration mais nous n’en sommes qu’au début.
 
Vos valeurs et le nom « Apoyo Mutuo » ont en commun avec l’anarchiste, mais vous n’utilisez pas ce terme. Aussi, vos visuels utilisent des couleurs comme l’orange, le bleu, le brun, le vert et le mauve plutôt que le rouge et le noir. Peux-tu nous parler un peu plus de votre décision de présenter votre initiative dans ce sens ? Quelle image voulez-vous présenter à la société ?
D’abord, il est important de clarifier que nous sommes une organisation avec des militant-e-s de différents mouvements sociaux (féministes, syndicalistes, écologistes, droit au logement, etc.) et que ce que nous avons en commun, parmi d’autres chose, c’est que nous ne voulons pas déléguer la politique aux voies institutionnelles. Certainement au sein de l’organisation, un bon nombre ont des idées libertaires, mais nous ne voulons pas être une organisions seulement de et pour les anarchistes ; nous voulons parler à tous-tes ceux et celles qui croient qu’un autre chemin est possible.
Il y d’autres groupes, fédération, collectifs et syndicats avec des valeurs similaires. Pourquoi alors est-ce nécessaire de créer quelque chose de neuf ? Ou plutôt, qu’elle est la différence entre Apoyo Mutuo et les autres initiatives ?
Le but n’est pas de créer un nouveau collectif, mais plutôt de renforcer les réseaux qui existent déjà (pas une agglomération mais une coordination). Nous avons tous et toutes notre travail personnel dans nos collectifs. Nous ne voulons pas nous surcharger [avec un autre groupe], mais plutôt nous enrichir mutuellement en créant un espace de confluence.
C’est un espace pour articuler des alliances peu habituelle, tout en suivant la proposition de María Galindo dans son bouquin “¡A despatriarcar! Feminismo Urgente!” (sortir du patriarcat ! Féminisme Urgent !). Nous avons besoin de sortir des ghettos identitaire qui asphyxient les idées. Parfois dans ces groupes certains oublient alors de « faire de l’idéologie ». En répétant toujours les mêmes slogans, on oublie de penser. C’est seulement en créant des alliances peu communes que l’on peut créer et actualiser un discours pour le 21èmesiècle : un discours où le syndicalisme enrichit le féminisme, où le féminisme enrichit l’anarchisme, etc. Il est vital de créer un programme politique et une stratégie commune qui nous renforcent car il est plus que prouvé que l’unité crée de la force.
Pour conclure, qu’avez-vous prévus pour les prochains mois ? Quelles sont les étapes suivantes ?
Nous avons reçus un accueil très positif de personnes intéressées partout dans le pays par Apoyo Mutuo. Il y a une forte demande pour des présentations de cette nouvelle initiative partout en Espagne et en principe c’est ce que nous allons faire dans un avenir proche pour que les camarades soient informés et puissent participer.
A Madrid nous organisons aussi des assemblées ouvertes pour présenter nos proposition aux gens qui viennent et sont intéressés et pour répondre à leurs doutes. A la fin du mois de juin nous organisons un meeting national avec les membres d’Apoyo Mutuo des différentes régions pour créer un programme politique commun.
En tant que peuple nous avons besoin de continuer l’offensive et d’être un acteur politique réel, actuel et conscient. Nous avons déjà été sur la défensive pendant trop d’années, essayant de protéger les droits que nous avons gagnés en nous battant, les droits dont la classe politique nous prive continuellement en nous ignorant. Créer une conscience politique est un vrai objectif politique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *